Témoignages

 

Témoignage de Dow Gordon

IIT Luxembourg – 26/10/14 au 4/11/14

Thématique du jour : la vulnérabilité

 

« Je veux faire l’exercice de la vulnérabilité. Je veux partager quelque chose de ma vie.

Lorsque que je regarde à l’intérieur de moi, je vois ce cœur tremblant : il y a la peur de me partager de façon vulnérable avec les autres.

Chez moi, le cœur est toujours en train de trembler et c’est une bonne chose.

Lorsque j’étais un petit garçon avec un frère et une sœur, nos vies n’étaient pas très heureuses. Nous n’étions pas vraiment pauvres, mais nos parents n’étaient pas en capacité d’offrir amour et compassion à leurs enfants.

Il y avait de la violence à la maison. J’en suis arrivé à croire que la violence était la manière dont les gens se comportaient naturellement les uns avec les autres. J’étais l’aîné et je ne pouvais pas protéger mon frère et ma sœur. Je me suis senti démuni, impuissant, car ma seule vraie famille, c’était mon frère et ma sœur.

A cause de cette violence, nous les enfants, étions régulièrement confiés à des familles d’accueil et souvent séparés.

Donc, j’ai appris tôt que le monde est une place difficile et j’étais en colère.

La plus grande partie de ma vie j’ai vécu en exprimant cette colère aux gens et au monde entier.

J’avais appris aussi que le cœur était le siège d’émotions compliquées : qu’il fallait que je me protège. Je voulais être en sécurité et il n’y avait pas de sécurité.

Je grandissais, ma colère grandissait  et mon cœur se durcissait.

A 12 ans, j’ai commencé à me bagarrer et commettre quelques petits crimes : voler, faire du vandalisme. Et mon expérience de façon répétée était : « le monde était horrible ».

Deux fois on m’a arrêté et j’ai tenté l’évasion. J’ai grandi vite !

La première fois que je me suis marié, j’avais 16 ans et un mois et ma femme 15 ans et demi. On a falsifié nos papiers d’identité pour pouvoir s’épouser.

J’étais convaincu que dans la vie, il n’y avait que deux choix : prendre la merde que chacun reçoit ou se défendre et la renvoyer ! Et mon choix, à moi, était toujours de me battre, de rendre les coups.

Mon cœur s’endurcissait encore et encore, car j’étais convaincu que le monde était difficile et c’était la seule façon que je connaissais pour m’en préserver.

A 19 ans, en 1963, j’ai été arrêté pour la première fois en tant qu’adulte. J’étais suspecté d’avoir commis un vol à main armé. A l’époque, au Texas, les prisons étaient ségrégationnistes : prisons pour blancs, prisons pour noirs. J’ai eu vraiment peur. Et la chose que je détestais le plus, c’était d’avoir peur ! Ce qui a fait augmenter encore ma colère. Elle me brûlait à l’intérieur. Je vivais à partir d’elle. J’étais assez dur pour que les autres prisonniers me fichent la paix.  Et j’ai découvert que les prisons étaient aussi un lieu difficile. Tout ce que je pouvais vivre me confirmait que le monde est difficile et dangereux. C’est ainsi que j’ai passé mes 18 mois de détention.

Je devenais de plus en plus dur. Je suis sorti,  déterminé à être dur et dangereux, à être un homme que les autres auraient peur de blesser.

Et j’ai commencé à vendre de la drogue. Je suis devenu trafiquant de Marijuana. Au Mexique, c’était facile. En 1967, j’ai élargi mon marché en « dealant » du haschich que j’allais chercher dans la vallée de la Bekaa au Liban, puis, lorsque la guerre civile a éclaté au Liban, j’allais me fournir au Maroc.

Bientôt, j’ai réalisé que les gens s’intéressaient aussi à la cocaïne. Alors, je m’y suis mis aussi.

Faire du trafic de drogue c’est intense, excitant, dangereux, il faut être extrêmement attentif, il faut leurrer ce monde. J’ai appris et appris… Nous travaillions en groupe. J’ai pris l’habitude d’être toujours armé, même la nuit. Je dormais avec une arme sous mon oreiller.

Quand je regarde en arrière, je vois que tout ce que je voulais, c’était être en sécurité mais jamais je ne me sentais en sécurité.

Alors j’essayais toujours plus. J’ai quitté les Etats-Unis. Je vivais là où il était plus facile de corrompre la police, là où il n’y avait pas trop de jugements moraux sur la drogue.

En 1987, j’ai été arrêté pour la seconde fois, au Canada. J’ai écopé d’une peine de prison de 3 ans. En tant qu’étranger, j’ai purgé cette peine dans le quartier de haute sécurité. Ma colère ne faisait que croître. J’ai 5 enfants avec 5 femmes différentes. Je ne suis pas très fier de cela. Je ne me suis pas comporté comme un vrai père. J’étais tout le temps loin, accaparé par mes « affaires » : je croyais que si je leur donnais de l’argent, c’était cela être responsable.

Pas une fois je n’ai regardé à l’intérieur de moi : je continuais à rendre coup pour coup à ce monde affreux.

En 1994, j’ai été arrêté aux Etats-Unis.  C’était ma troisième arrestation. Les preuves étaient accablantes et  je savais que j’irai en prison pour longtemps. Alors que j’attendais que l’on me juge, je me suis souvenu d’un ami qui avait voyagé pour notre business, qui avait quitté notre groupe et s’était engagé dans une pratique bouddhiste. Il vivait une autre vie, il méditait !

Pendant que j’attendais ma sentence, j’ai pris la décision – parce que je sais qu’en prison, on n’empêche pas les gens de pratiquer leur religion- d’être un moine.

J’ai commencé à méditer puisque les moines font cela ! Les geôliers me voyaient méditer et j’étais très fier de moi : j’avais découvert comment avoir un peu de pouvoir en prison.

Je suis resté assis encore et encore, mais pas pour les bonnes raisons… C’était ma façon de tromper le système !

Mais au bout de deux ans assis, mes pensées se sont mises à arriver à la surface comme des bulles et  j’ai commencé à reconnaître que le monde n’était pas exactement celui que je croyais et que moi-même, je n’étais peut-être pas l’homme dur et dangereux que je m’efforçais d’être.

La méditation a commencé à me transformer. Et j’étais d’accord.

J’ai formé une communauté avec d’autres prisonniers et on se donnait du soutien. Cela a duré environ 5 ans. J’étais autre à l’intérieur. J’ai laissé mes souvenirs d’enfance remonter et aussi tout le mal que j’avais infligé à d’autres personnes. J’ai commencé à regarder cela de façon autre et à prendre ma part de responsabilité dans ce que j’avais fait.

Pendant plus de 30 ans, j’ai vécu avec pour conséquence d’avoir apporté beaucoup de larmes et de souffrances à beaucoup de monde.

J’étais déterminé à ne plus agir ainsi en sortant de prison. Peut-être, en devenant un vrai moine ?!!! Un jour un prisonnier « méditant » m’a tapé sur l’épaule et m’a dit : «  Il y a un atelier CNV, le week-end prochain. Cela pourrait t’intéresser. »

J’ai été à ce séminaire. Une  petite femme nous a parlé pendant deux jours. Je n’ai pas compris grand-chose mais j’ai compris comment était cette femme : sans jugement, avec sa présence totale et son cœur ouvert, elle n’attendait rien de nous.

J’en voulais plus ! Dans les années qui ont suivi, j’ai été absolument à tous les ateliers de cette femme et de ses collègues qui ouvraient leur cœur.

Et tandis que j’en apprenais de plus en plus, j’ai commencé à apprendre comment vivre. A près de 50 ans !

La Communication Non Violente m’a ouvert une porte vers ce monde dont je n’avais jamais fait l’expérience : une communauté où il a de l’amour, de la compassion, où l’on prend soin de soi et des autres, où l’on peut offrir et obtenir du soutien.

En 2001, sorti de prison, je suis allé voir ces personnes et me suis accroché à elle et j’ai appris comment devenir humain, à ouvrir mon cœur  pour m’accueillir, moi et les autres. Pour nous laisser entrer dans mon cœur. Ce monde est tellement différent de là où j’ai vécu que je me suis donné à ce processus et que je me suis engagé à le partager avec d’autres prisonniers, et toutes celles qui le souhaitent, et cela pour le restant de ma vie.

C’est dur pour moi de trouver les mots pour dire à quel point j’accorde de la valeur aux qualités du processus de la CNV. J’ai une profonde gratitude pour tous ces gens qui partagent comment vivre en harmonie avec son cœur. »

 

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